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Un soir de décembre

Delphine de Vigan

Il s’agit du deuxième roman de Delphine de Vigan, et pour ma part, de ma deuxième lecture de l’œuvre, étant restée sur un avis mitigé lors de la première il y a quelques années. J’ai bien fait, puisque je me suis réappropriée l’histoire d’une manière totalement différente et en ai retiré un ressenti plus abouti, une très belle redécouverte.

L'histoire :

Matthieu Brin est un homme heureux : marié et amoureux, père de famille, écrivain comblé par le succès et régulièrement récompensé par les lettres de ses admirateurs. Un jour, dans sa boîte aux lettres, une missive troublante dont le sens lui échappe. Celle d’une femme qui lui parle de son livre, mais aussi d’elle, de lui. Un sentiment étrange s’empare de Matthieu : cette femme le connaît… Très vite, il réalise que lui aussi la connaît.

Mon avis:

Je mentirais si je disais que c’est la quatrième de couverture qui m’a séduite. Et c’est justement bien au-delà de la présentation de cette histoire plutôt banale qu’il faut passer pour apprécier la puissance des mots de l’auteur, la profondeur du désir insupportable qui s’installe dans les entrailles de cet homme, puis dans les vôtres.

Ce livre vous brûle, vous transit, vous fait vivre par correspondance la violence du souvenir des sens en émoi.  

Matthieu est un homme à femmes, charmeur, séduisant, qui a trouvé une stabilité, un véritable sens à sa vie en rencontrant et épousant Élise. Puis un jour, les courriers de cette inconnue qui n’est autre que Sara, celle qu’il a aimée, dévorée, consumée, abandonnée. Les écrits de cette femme réveillent leur vécu commun et à travers lui la passion, la fusion, la torture ; la conscience de l’usure du couple qu’il forme avec sa femme.

Il y a toujours dans les romans de Delphine de Vigan une atmosphère anxiogène, un quelque chose de pesant, dérangeant, et c’est bien parce qu’elle sait manier les mots avec justesse que l’on se prend en pleine figure une gifle d’émotions baignées de réalisme. Ce livre parle de ce qu’il reste d’un amour passionnel : l’amertume et la déchéance.

 

Le couple Matthieu et Sara, dix ans en arrière, la passion à l’état pur. Le couple Matthieu et Élise, aujourd’hui, l’amour confortable. C’est un florilège de réalités que nous offre l’auteur, mais aussi une sensation d’impuissance, un regard vide sur un triste constat : il y a celui qui aime en prenant et celui qui souffre en donnant. Celui qui ne reçoit pas à la hauteur de ce qu’il donne et qui perdra forcément. Et celui qui se nourrit, vibre comme s’il allait mourir, comme si rien ni personne n’en dépendait, et qui l’emportera. Parce que c’est écrit et que c’est ainsi.

Le lecteur assiste aux ravages physiques et moraux du désir ravivé. Dévastateur. À la transformation d’un homme qui se croyait sauvé, mais qui se perd et (se) détruit. Au réveil douloureux de la passion qui va nourrir sa propre écriture, lui insuffler l’envie de coucher les mots comme des hurlements.

 

Il y a cette jeune femme qui tombe sur le livre de son ancien amant, qu’elle qualifie de « boomerang ». Cet homme qu’elle a follement aimé, à qui elle s’est donnée tout entière, jadis. Celui qui en lui disant « Je ne suis pas sûr d’avoir la force » l’a « condamnée à l’errance. »

Il y a cette épouse aimante qui observe son mari absent, tremblant, éteint, s’enfonçant chaque jour un peu plus. Cet homme qu’elle ne parvient plus à connaître, à comprendre, à toucher, à regarder : « Dans la rue, elle marche devant. » Celui qu’elle tente de sauver… mais bien trop tard.

Et puis, il y a cet homme qui n’y arrive plus. Qui dort mais ne rêve pas. Qui cherche mais ne veut pas (re)trouver. Cet homme qu’une odeur de putréfaction envahit jour après jour. Il est seul face au désespoir, face aux pages de son roman qu’il remplit d’encre du souvenir charnel.

Son esprit se réveille car son corps se souvient. Ce mari perdu dans sa relation de couple : « Il voudrait lui dire […] combien il souffre d’être là – à côté d’elle – et de ne plus pouvoir ouvrir la bouche quand elle l’embrasse. » Son existence n’est que sables mouvants.

Trois vies, trois morceaux de papier déchirés.

 

L’auteur nous livre au fil des pages une extraordinaire définition de l’amour qui fait mal « […] dans l’absence, mais aussi dans la proximité […] ». Un hymne au désir et à la résistance de celui-ci. Au plaisir, à la souffrance de l’âme et du corps.

Les scènes d’amour sont sensuelles et cruelles, magnifiques. Le dénouement est puissant mais inattendu. L’on referme le livre avec une petite boule dans la gorge, oscillant entre sentiment d’achevé et d’inachevé, c’est cependant bien là que réside le talent de Delphine, à travers une écriture riche emplie d’émotion et de sensibilité.

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