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Ki manier bann kamarad ?

Petite leçon de créole mauricien.

Hein ? De quelle manière ? Que de manières ? Mais je n’en fais pas, moi, des manières ! Et puis quoi, on est bons camarades ? Super potes, même ? Mais on ne se connaît pas, je vous ferais dire !

Ah ! ce florilège de bizarreries linguistiques à l’accent chantant (très chantant, même) qui n'existe nulle part ailleurs ! Bienveni a Moris !

Le créole, reconnu comme langue à part entière en 2011, enseigné dans les écoles primaires de la république et utilisé par le premier ministre lorsqu'il s'adresse à la nation, a été la première subtilité locale à appréhender en arrivant sur l’Île Maurice. Car si au départ l’on retient quelques expressions et mots à la tournure rigolote et à la prononciation très phonétique, on déchante vite quand à l’oral tout est enchaîné à la vitesse de Bip Bip, l’oiseau du désert qui se joue de Vil Coyote.

Il faut bien admettre que tenir toute une conversation avec « Bonzour, ki manier ? » et « Mo apel Delphine, mo sorti Lafrans » (Bonjour, comment allez-vous ? Je m’appelle Delphine, je viens de France) ça ne peut pas nous amener très loin. Encore que, l’on notera que l’effort linguistique de l’expatrié pour se ridiculiser est toujours facétieusement salué par l’autochtone. Mais lorsqu’après cinq bonnes minutes – parce qu’on ne veut rien lâcher et qu’en tant qu’expatriée, on se gargarise d’une certaine adaptabilité – on a à priori réussi à parler avec enthousiasme du programme prévu pour le weekend, on a juste envie de pleurer quand on entend son interlocuteur rebondir avec joie et nous siffler dans les oreilles un : « Peizaz ver ki trouve depi sa montagn-la extra zoli, ankor ena boukou zako dan bann bwa kote Chamarel. » C’est dingue de constater à quel point la simple évocation d’une randonnée dans la forêt d’Ebony peut s’avérer soudainement complexe pour l’orientation de la discussion. Même en anglais – et je ne suis toujours pas une lumière – ça devient autrement plus facile ; c’est dire !

Alors, pour me sortir de cette embarrassante situation, et aussi parce que définitivement, j’adore cette langue exquise chantante, sa base lexicale inspirée du français et saupoudrée de quelques réminiscences de l'anglais, j’ai acheté un petit guide de conversation en vingt-et-une leçons (pour vingt-et-un jours), et un sachet de bonbons de confiance. Trépignant d’impatience et de fierté, je me revois me dire : « D’ici trois semaines, moi aussi, j’en aurai boukou, des bann kamarad ! »

Bon, au bout du vingt-et-unième jour, je me suis demandée si ledit mode d’emploi n’existait pas plutôt en version vingt-et-une semaines ! Parce que, à mon humble avis, le rédacteur de la méthode a un peu surévalué les prétentions dialectologiques de ses bann kamarad étrangers. Ayo ! (encore une expression bien locale) Mes bonbons de confiance devaient manifestement être périmés !


En créole, toutes les lettres se prononcent comme elles se lisent, sauf le « e » qui se dit [é]. Parfait ! On ne s’embarrasse pas d’articles, d’accord ou de conjugaison. La grammaire est sommaire. Pas d’accent, et ni genre ni pluriel. Plus simple, me direz-vous, et je l’ai bien pensé, moi aussi ! Ben non, pas vraiment ! Certains mots de vocabulaire sont propres à cette langue (« bann » étant mis par exemple à toutes les sauces) et ne sont pas forcément traduisibles. La composition d’une phrase étant réduite à sa plus simple expression, on a la très agaçante impression qu’il manque la moitié des mots pour la comprendre. Et vous voulez le(s) pompon(s) ? Le son français "ch" devient le son "s" ; le "j" français se transforme en "z" ; la lettre "c" est remplacée par le "s" ou encore le "k" ; le "j" se prononce "dj" ; le "ch" se dit "tch"... Au secours !

Tenez, juste pour rire, petits malins, lisez et traduisez : rouz / jok / rekile / sanzman / sesi / kase / fler / dife. Que des mots simples dont la traduction* se trouve en fin d'article.


Lorsqu’un sympathique voisin de table m’a un jour demandé tout sourire dans un restaurant : « Ki kote ou sorti ? » et que j’ai stupidement indiqué la porte d’entrée, me disant qu’il devait faire une petite crise de panique doublée d’une perte de mémoire immédiate, pour chercher ainsi la sortie, j’ai réalisé que la réponse n’était pas la bonne. Alors, lorsque cet adorable mauricien (un tantinet moqueur, tout de même) m’a lui-même traduit sa question : « d’où venez-vous ? », j’ai compris qu’un « Mo enn Franse » aurait été largement plus approprié !

Autrement dit, bann kamarad (que l'on peut traduire "bande de camarades"), il y a du boulot !


Qu’on se rassure néanmoins, pour mon plus grand bonheur – Mwa mo bien kontan (Je suis heureuse) – l’Île Maurice offre à tous ses visiteurs et résidents étrangers une diversité culturelle, religieuse et linguistique incroyable. Ici, on parle le français, l’anglais, mais aussi plusieurs langues ethniques indiennes et chinoises, ainsi que l’arabe. Du coup, je l’avoue, je ne fais plus vraiment d’efforts. Non pas que je me fasse mieux comprendre en mandarin ou en hindi, mais apprendre le créole se révèle pour moi plus compliqué qu’apprendre l’anglais, alors c’est vite vu !

Mais rien n’est définitivement perdu, je m’accroche et j’ai au moins retenu une chose. Lorsque l’on me demande maintenant : « Ki to ete ? », je ne rétorque pas comme une idiote que « oui, l’été arrive bien tôt ! », mais plutôt : « Mo enn Delphine. »


Cette destination regorge d'expressions singulières, de cocasseries et autres tendres absurdités qui la rendent si attachante. Alors, on y reviendra, c'est promis !

Plitar nou zwenn ! (ce qui veut dire "À bientôt !")

D'ailleurs, relisez à voix haute et vous comprendrez, parce que vous entendrez – plus ou moins, je vous le concède – : plus tard nous joindre.



* rouge / blague / reculer / changement / ceci / casser / fleur / (du) feu.

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