L’expatrié dans sa nouvelle société autochtone.
Le dictionnaire de français Larousse définit l’expatrié comme une personne ayant été expulsée, envoyée loin de sa patrie, ou bien volontairement partie en exil, ou encore en tant que salarié exerçant son activité dans un pays autre que le sien.
Si je dois me glisser dans l’un de ces tiroirs, me voilà bien embêtée. Parce que, expulsée de chez moi, ça n’est bien sûr pas le cas ; délibérément exilée… il y a dans ce terme une connotation de déportation, de bannissement pour moi inadaptée ; quant à la salariée employée à l’étranger… ça, c’était le doux rêve au débarquement (smiley avec deux étoiles en guise d’yeux), l’utopie de penser que l’on nous attendait, mes jolis diplômes et moi-même (smiley qui lève les yeux, la main sur le menton).
L’arrivée sur un sol étranger, aussi préparée soit-elle, réserve son lot de surprises quant à l’accomplissement professionnel que l’on y ambitionne. Et c’est simplement parce que l’on reste convaincu que s’épanouir et briller dans un job de rêve n’est possible – et surtout plus facile – qu’ailleurs ! Mais pourquoi le serait-ce, finalement ?
Chaque pays possède ses propres lois, sa politique de règlementation sociale, économique et environnementale. Pour sa native population, mais aussi pour l’ensemble des résidents venus fouler avec optimisme le sol de leur nouvelle terre d’accueil. Je ne m’étendrai pas sur la difficulté, et les raisons de celle-ci, pour un expatrié chaudement débarqué à Maurice à intégrer le marché local du travail, mais il est clair pourtant que ce dernier représente évidemment la meilleure incorporation dans le système local ; vous allez comprendre.
Une fois l’installation effectuée, non sans écueils, voilà donc l’expatrié plongé dans le bain de la réalité, sur la scène de sa nouvelle vie, ses surprises – bonnes et moins bonnes – et ses embûches, juste là pour tester sa résistance au changement, son adaptabilité à l’inconnu. D’ailleurs, mes premiers posts vous ont décrit avec humour et légèreté quelques-unes des surprenantes découvertes de la vie à Maurice.
L’expatrié sur son île prend ses marques. Il trouve son logement ; effectue toutes les démarches administratives l’autorisant à jouir d’une existence rêvée sous le soleil des Mascareignes ; ouvre un compte bancaire et attend que les dix formulaires requis soient validés ; achète une voiture et attend patiemment (ou pas !) qu’elle arrive de Chine ; l’assure et attend que les huit formulaires requis soient validés ; repère les supermarchés, les marchés, les magasins de fringues, de chaussures, d’articles de pêche (sans commentaires !), les salons de coiffure, les centres d’esthétique (sous les tropiques, s’il y a bien une chose qui doit rester impeccable, c’est votre maillot, Mesdames !), les plages, les sites à découvrir, les restaurants à tester, les routes et directions… Réalise qu’ici les déplacements s’évaluent en temps et non en kilomètres… bref, l’expatrié s’adapte et imagine alors que s’ouvre sous ses yeux ébahis une parenthèse enchantée dans son parcours de vie.
Tout est beau, tout est bleu comme le lagon, tout est bon comme dans le coch... Ah ben non ! du cochon, ici, ce n’est pas ce qu’il y a de plus simple à trouver !
Mais une fois que tout est en place, que sa zone de confort est correctement bornée, que tou korek, bann kamarad, l’expatrié prend conscience que tout ça, c’est bien joli, mais qu’il lui manque tout de même quelque chose d’essentiel. Car, quelles que soient les motivations d’une installation à 10000 kilomètres de son pays d’origine, seul, en couple ou en famille, l’expatrié reste une personne loin des siens, de ses proches, de ceux qu’il aime, qui le rassurent.
Alors, il réalise que s’il a tout pour être bien et profiter pleinement d’une expérience de vie choisie et dont il sortira forcément enrichi, il doit absolument – je dirais même prioritairement – se constituer une vie sociale. Non parce que si Balou chante qu’il en faut peu pour être heureux et que finalement l’important est de se satisfaire du nécessaire (Oups, peut-on parler du nécessaire quand on vit dans deux-cents mètres carrés avec piscine et qu’on emploie des jardiniers ?) … il a quand même plein de potes, le Balou, et ça aide !
Oui mais voilà, les mauriciens sont certes adorables, tolérants, et tout et tout, mais restent majoritairement peu enclins à s’ouvrir aux étrangers pour les faire pénétrer dans leur bulle familiale et amicale ; c’est culturel ! L’expatrié est donc très vite confronté à son propre univers. Si l’on part du principe que la population locale d’un pays, y résidant depuis toujours, ne vous attend pas, n’a point besoin de vous dans sa vie légitimement remplie et organisée, vos premières attentes peuvent être ébranlées. Mais tout bien réfléchi, l’attitude des mauriciens (comme celle de tout ressortissant dans son pays d’origine) est légitime si on les imagine confortablement installés dans une existence satisfaisante et socialement épanouie. La famille, les amis, les loisirs quotidiens et hebdomadaires, les sorties dominicales à la plage, les pique-nique géants, les parties de dominos, de Carom (billard indien), de pétanque, les heures passées dans les centres commerciaux, les dimanches au Champs de Mars, etc. Et pourquoi donc devraient-ils opérer un rapprochement obligatoire avec de nouveaux voisins, sous prétexte qu’ils viennent d’arriver de l’étranger et sont un peu perdus, comme les centaines d’autres expatriés débarquant plus nombreux chaque année pour s’installer ? Permettez-moi de vous dire que si leur gouvernement continue de tout mettre en œuvre pour séduire investisseurs, professionnels, retraités et leurs familles, les gentils autochtones n’ont pas à changer de vie sociale pour autant ! Relevons néanmoins que chacun d’entre eux, à un moment donné, trouvera dans ladite situation un intérêt financier certain : l’expatrié consomme, dépense, et apporte ainsi une généreuse contribution à l’économie nationale, tous secteurs confondus. Mais finalement, la vraie question est : nos hôtes ont-ils envie ou besoin de nouveaux amis, étrangers de surcroît ? Pourquoi seraient-ils tenus d’abreuver de leurs coutumes locales la vie de ces derniers, de les inviter chez eux à goûter le traditionnel rougail fait maison (sans piment s’il vous plaît, pour les palais européens !), le cari poulet, le gâteau piment, le poisson fraîchement pêché (sans arrêtes ni mouches, cela va de soi !), de leur fournir explications touristiques et culturelles, informations religieuses et sociologiques ? Même s’ils sont internationalement connus pour leur hospitalité, les mauriciens n’ont rien demandé, après tout ! Et si l’expatrié compte sur eux pour tisser le nouveau réseau social de sa nouvelle vie hors frontières, sa présence à lui n’est pas nécessaire dans leur vie à eux. CQFD !
Ouvrir un débat sur le sujet serait intéressant, bien sûr, mais je devrais alors vous fournir un rapport chiffré et documenté sur les relations interculturelles entre autochtones et allochtones, et si je ne suis pas certaine de captiver un grand auditoire, je suis convaincue en revanche de ne pas avoir les capacités pour développer le sujet en question. Je laisse ce travail aux anthropologues, sociologues et autres spécialistes.
J'ajouterais cependant que je refuse de faire de ce bilan une généralité, puisqu’évidemment des liens peuvent se créer, des affinités et sympathies naître. L’on peut même trouver loin de sa vraie famille une famille de cœur. Mais croyez-moi, le constat est plutôt rare. Heureusement, me direz-vous, car la rareté fait aussi la qualité !
C’est ainsi qu'à son arrivée, bercé d’illusions totalement légitimes, l’expatrié – assoiffé de découvertes et impatient de se prévaloir de nouvelles connaissances cent pour cent locales – refuse en général de se parquer dans un « ghetto d’expats », affirmant qu’il est là pour se mélanger aux Mauriciens, rencontrer des Mauriciens, vivre à la mauricienne… Rapidement pourtant, il comprend que le mode de vie créole est si éloigné du sien, c’est-à-dire du standing qu’il souhaite maintenir à dix mille kilomètres de chez lui, envers et contre tout, que même une indéniable souplesse dans le grand écart ne lui permettra pas de franchir ledit fossé socioculturel.
Sauf si l’on a l’opportunité de travailler avec elle, fréquenter ici la population locale en vue d’être intégré revient à enregistrer le contact de l’agent immobilier qui vous a fait visiter dix maisons, ou du propriétaire de celle que vous avez retenue, qui ma foi a plutôt l’air « réglo »… l'air, mais pas la chanson. Alors autant vous dire que ça reste limité et surtout sans lendemain. D’ailleurs, imaginer la même démarche en Europe paraît bien saugrenue. Si en tant que coiffeuse dans une jolie bourgade du Périgord, vous devez donner votre numéro de portable à chaque Abby Anderson fraîchement débarquée du Sussex lors de sa première visite chez vous pour un shampoing-brushing, parce qu’elle croit dur comme fer que vous serez les meilleures amies du monde, avouez que c’est étrange ! Alors, soyons honnête, le chauffeur de taxi créole que vous appelez souvent au début pour tous vos déplacements, parce que vous n’avez pas encore réceptionné votre petite Honda Fit Hybride, est certes devenu proche en plus d’être adorable et serviable, mais primo vous ne comprenez pas tout ce qu’il dit, secundo vous réalisez très vite que vous n’avez pas grands sujets de conversation à partager.
On y est… S’érige inéluctablement une barrière sociale et c’est là que vous réalisez que vous représentez pour une majorité des locaux les moyens qu’ils n’ont pas, le pouvoir d’achat, l’inaccessible, voire même dans l’esprit de certains une forme de colonialisme. Ô combien d’ailleurs je comprends cette vision, lorsque j’observe le comportement indécent de certains expatriés installés ici depuis des années, responsables de l’image actuelle du nuisible envahisseur blanc ! Mais ceci est un autre débat.
L’expatrié sain, c’est-à-dire normalement doté d’une ouverture d’esprit et d’une volonté de se fondre avec loyauté dans la vie locale, réalise alors que sympathiser avec l’autochtone n’est pas si évident et/ou intuitif que ça, car les attentes ne sont tout simplement pas les mêmes de chaque côté.
Pour en avoir fait l’expérience, je peux vous assurer que l’expat qui met en place sa nouvelle vie à Maurice doit donc inévitablement se résoudre à une chose : se rapprocher de ses semblables – autres esseulés étrangers dans le pays – s’il veut se prémunir contre le danger d’une vie morne et désertique. Notons que la planète compte encore un grand nombre de « Robinsons » fuyant toute trace de civilisation, mais il est évident que pour vivre leur ermitage ensoleillé, ces derniers n’ont pas fait le choix de l’Île Maurice, mais plutôt celui des archipels sauvages et inhabités aux confins de la Papouasie.
Toujours est-il que fort de ce constat, l’expatrié – déçu – n’a pas des dizaines de solutions pour approcher ses congénères ! Donner un coup de pied dans la fourmilière ou s’y installer !
Les associations, d’abord.
Présentes dans tous les pays, elles aident le nouvel arrivant dans ses démarches quotidiennes, administratives et sociétales pour le mettre sur la voie des rencontres intercommunautaires. Ainsi, au travers d’évènements, de sorties, d’activités en tout genre, les « nouveaux » partagent et échangent, se retrouvent « entre eux » pour créer des liens, parce qu’ils sont censés se comprendre, vivre de la même façon, concevoir l’expatriation sous le même angle, rechercher les mêmes choses.
J’avoue ne pas avoir souhaité immédiatement devenir membre de ces groupes, me pensant peut-être plus douée que les autres pour organiser ma vie d’expat toute seule comme une grande, fière de penser que si je n’habitais pas dans l’un de ces fameux ghettos d’étrangers évoqués précédemment c’était justement pour ne pas tomber sur l’un d’eux à chaque sortie de chez moi ! Alors les retrouver par dizaines lors de randonnées, ateliers divers, déjeuners « Bring and Share »* ou soirées au code vestimentaire soigneusement pensé pour nous faire sortir du duo tongs-maillot de bain n’était pas à proprement parler mon premier objectif.
Oui, bon, n’apprend-on pas tous les jours de ses erreurs ?
L’association Maurice Accueil, par exemple, m’a offert de sympathiques rencontres et des échanges d’expériences intéressants.
La révision du lieu de vie, ensuite.
Il est fortement recommandé, surtout lorsque l’on a pris soin de choisir sa résidence résolument éloignée de toute concentration allochtone, de déménager pour finalement s’en rapprocher. Oui, de celle-là même que l’on aura voulu fuir ! Je sais, cela paraît surprenant, mais en réalité, bann kamarad, la vraie solution, c’est celle-ci. Je suis aujourd’hui profondément convaincue de la nécessité de vivre dans une structure résidentielle accueillant les communautés étrangères (et parfois locales) et favorisant les rencontres, la vie sociale, l’épanouissement personnel.
Je peux le dire, mon lieu de vie actuel m’a littéralement sauvée, extirpée d’une existence bien morose et d’un gros doute sur mes raisons de rester plus longtemps ici. Car lorsque l’on bosse de la maison, que l’on ne voit personne, ne parle à personne, ne reçoit personne, difficile d’associer un quelconque enrichissement humain à l’expérience de cette nouvelle vie.
Merci, au passage, à Christian et Johanna – parce que je sais qu’elle me lit – d’avoir été nos adorables (mais seuls) voisins, nos premières connaissances ici, d’avoir partagé avec nous pendant presque un an l’aventure (ou la galère) de Pereybere, et d’être devenus (et restés) davantage que des voisins dans notre vie, même après une petite migration kilométrique.
Mais au fait, si je vous dis qu’ils sont expats eux aussi, êtes-vous surpris ?
Vous l’aurez compris, intégrer un groupe d’individus pour son bien-être et sa santé mentale à l’étranger n’est pas expliqué dans les manuels, bien qu'essentiel, et l’on peut se sentir bien seul et démuni loin de ses repères sociétaux.
Alors oui, au sein d’un immense complexe aux allures de village comptant une épicerie, une boulangerie, des restaurants, une salle de sport, des courts de tennis, de yoga, des animations et évènements… ma vie est plaisante. Mon agenda social est aujourd’hui bien rempli et mon répertoire s’est alourdi de nombreux contacts. Mais tout ceci ne poserait-il pas au final d’autres questions sur les rapports humains en général, et entre expatriés en particulier ?
Connaissances ? Voisins ? Copains ? Amis ? C’est dans la nuance que l’on apporte à chaque terme que réside toute la complexité des relations. Je me ferai un plaisir de développer ledit thème dans un prochain post, quand j’aurai mûri le fond et abouti la forme ! Parce que là, bann kamarad, d’autres surprises attendent l’heureux expatrié dans son nouveau microcosme et l’étude de cas qui me titille pourrait être tout aussi passionnante.
Ah ! La nature humaine !
Nou zwenn biento !
* Bring and Share = très à la mode ici, et peut-être ailleurs, il s'agit d'apporter ce que l'on a préparé ou acheté (quiche, salade, gâteau...) et de le partager avec d'autres lors d'un repas de groupe. Ce concept est utilisé en France lors des repas entre voisins, par exemple.