L’expatrié à la recherche de nouveaux amis.
Je m’étais donc arrêtée à ce qui attend l’heureux expatrié dans son nouveau microcosme, et à l’analyse qu’il fera de l’amitié dans un cadre étranger, entouré d’étrangers. Notion à la fois réduite à sa plus simple expression et développée dans sa plus grande complexité. Connaissances ? Voisins ? Copains ? Amis ? C’est dans la nuance que l’on apporte à ces termes que réside toute ladite complexité des relations.
Enfin installé dans une structure résidentielle rassurante et confortable, l’expatrié vient en effet de mettre toutes les chances de son côté pour s’accorder une vie sociale trépidante en comptant dès lors sur son nouveau lieu de vie pour se tourner vers les activités sportives et commerciales proposées sur place. Ainsi, il fera des rencontres, enregistrera ses premiers contacts locaux, créera des groupes sur WhatsApp afin de lancer des déjeuners, dîners et autres soirées thématiques et ludiques comme par exemple la belote ou le tarot. Il est à noter, d’ailleurs, que ces parties de cartes ont toujours le même succès au XXIe siècle, ainsi que le pouvoir magique de réunir.
Vu de l’extérieur, on se croirait sur Wisteria Lane à Fairview ! Et effectivement, la même ambiance conviviale règne dans le quartier. Et quel privilège de compter dans son entourage une Lynette Scavo, super maman et épouse ; une Bree Van de Kamp, reine des soirées réussies ; une Gabrielle Solis, toujours impeccablement maquillée, même au réveil ; une Susan Delfino, incroyablement drôle et attachante ; une Edie Britt, peste et grande faiseuse d’histoires, alimentant la chaîne locale des ragots et rhabillant la moitié de la communauté pour tout l’hiver austral !
Mais si la vie à Wisteria Lane s’annonce ensoleillée et que l’expatrié a de nombreux nouveaux voisins à qui dire bonjour et faire la conversation, sa vraie préoccupation reste tout de même la construction de son futur petit réseau social. J’entends par là, les rencontres intéressantes, voire pertinentes, qui rempliront son carnet de bal. Nos voisins, aussi sympas soient-ils, ne sont en effet pas toujours voués à devenirs des proches !
Dans un ensemble résidentiel important, régi par un règlement interne, l’on compte un bureau et une organisation administrative structurée, ce qui pose le cadre, les règles, les limites. Mais si en plus, les résidents se voient offrir un référent chargé de toute la partie sociale et confédérale, l’adaptation des expatriés à leur nouveau cadre de vie est miraculeusement facilitée. En sus de la série de services et prestations offerts à ces derniers, une personne dont la fonction professionnelle est de rassembler, présenter, organiser, fédérer… est une véritable aubaine ! Un chef de village apolitique, totalement impartial, traitant tous les habitants de la même manière et ne souhaitant qu’une seule chose : l’harmonie collective. Là où je vis aujourd’hui, tout le monde s’accorde pour déclarer que notre « mairesse » remplit son rôle à merveille !
Responsable de l’évènementiel et garante du bien-être de tous ses villageois, elle connaît chacun d’entre eux, ne fait aucune différence – y compris avec les récalcitrants au règlement intérieur, équité oblige – et s’investit corps et âme dans la mise en place d’évènements thématiques, marchés, ventes privées, excursions, soirées, déjeuners, petits-déjeuners, etc.
Elle est donc ici le premier vecteur de relations sociales au sein de son « village » et lui apporte une réelle plus-value en termes de qualité de vie.
Mais est-ce suffisant pour créer des liens ? Ceux-ci doivent-ils reposer uniquement sur elle et ses initiatives ? Bien sûr que non ! Simplement parce qu’à l’âge adulte, l’expatrié qui a déjà pris la grande décision de vivre à l’étranger est censé savoir gérer seul les conséquences de son choix dont fait partie la constitution de son nouveau réseau amical. La présence d’une Gentille Organisatrice (GO) au grand cœur (parce que oui, il se trouve qu’en plus, elle a un grand cœur) est un coup de pouce plus qu’appréciable, mais n’est pas pour l’expat son unique et absolu recours pour approfondir la connaissance de ses congénères. La GO, loin d’en avoir pourtant fini avec ses fonctions d’intégrateur, a fait son taf, comme on dit. Elle met en lien, mais ne va pas non plus continuer à faire la nounou. L’expatrié doit se prendre en main !
La multiplicité des communautés étrangères présentes au sein de complexes résidentiels comme celui que je décris pourrait évidemment représenter une excellente base d’échanges et de rencontres. Mais je ne suis pas certaine, au risque de vous choquer, que l’expatrié, d’où qu’il soit originaire, puisse totalement y trouver son compte. Les différents modes de vie et d’éducations qui se côtoient dans un microcosme restent une problématique difficile à démêler. Ici, cohabitent entre autres dans un espace délimité : Sud-Africains, Chinois, Dubaïotes, Européens… Autant de nationalités que d’us et coutumes spécifiques. Alors je vous laisse envisager ce que cela peut donner quant à la notion de respect du voisinage, ainsi qu’aux sources de conflits potentiels liés aux dissemblances culturelles. Je préfère penser d’une part que si de telles divergences de comportements s’adaptent difficilement à un même lieu de vie, l’Homme est néanmoins apte à s’enrichir de toute expérience pour en sortir grandi. D’autre part, j’aime à espérer que la nature humaine puisse un jour réaliser ce qui dans ses agissements égoïstes et individualistes peut déranger autrui. Un tantinet utopique, je vous l'accorde.
Ceci étant dit, le sujet qui pourtant mériterait son article ne sera volontairement pas développé aujourd’hui, car trop éloigné du thème originel.
Recentrons-nous !
Pour l’expatrié en mal de camarades et non prédisposé à « piocher » dans la variété culturelle qui peut donc rapidement s’avérer compliquée, il reste finalement deux solutions.
La première est de compter sur les « anciens », ceux qui sont parfaitement intégrés au mode de vie communautaire et donc les plus à même d’y faire entrer les « nouveaux » en les accueillant comme il se doit. Ils savent tout, connaissent tout et sont une mine de vécus et d’expériences. La caractéristique principale de cette population venue depuis longtemps s’installer loin de ses origines n’est-elle pas avant tout l’adaptabilité aux changements, l’ouverture d’esprit, la capacité à créer des liens avec autrui ?
En réalité, il y a deux sous-catégories dans la catégorie.
Ceux qui n’hésiteront pas à accueillir l’étranger parmi les étrangers, lui délivrant conseils et bienveillance. Les mêmes qui inviteront chez eux, partageront leur réseau et accointances, auront très à cœur d’élargir leurs connaissances. Heureux de sortir de leur zone familière pour agrandir leur zone de confort. Ne peut-on pas se faire des amis à tout âge et à tout instant de sa vie ? L’expatriation n’est-elle justement pas une excellente opportunité pour ça ? Cette première catégorie en est convaincue en tout cas. Nous les appellerons « les hospitaliers ».
Et puis, il y a ceux que l’on vient déranger, que l’on perturbe de sa présence comme un bébé moineau dans un nid de tourterelles. Au sein du cocon douillet, ou devrais-je dire du noyau dur, une routine est bien installée. Chez les tourterelles, les rituels sont horodatés, les habitudes difficilement altérables, les souvenirs communs existants bien suffisants à partager… ou en tout cas s’il en est d’autres à venir, réservés aux membres aviens de la même famille. Celle-ci ne considère sa zone de confort qu’équivalente à sa zone familière ; pas ou peu d’extension possible. Mais en y réfléchissant, l’Homme n’est-il pas rassuré uniquement par ce qu’il maîtrise et connaît ? L'’inconnu fait peur, c’est bien connu !
Le « jeune » expatrié analyse très vite la situation et comprend aussi vite qu’il est intrus et pourrait donc bien rester exclu. En reconnaissant néanmoins que dans certains nids de tourterelles, de la place sera toujours faite pour quelques moineaux, je tempère mes précédents propos, certes, mais associe surtout cette exception à la première catégorie des colombidés : les hospitaliers.
Si l’on ajoute à ladite situation sociétale la notion de classe sociale individuelle et le pouvoir d’achat s’y rattachant, les moyens financiers de chacun sont très différents, de même que ses valeurs et aspirations. Je ne suis pas sociologue et ne me risquerai donc pas à développer ce sujet, mais je constate juste qu’il est largement plus facile pour un moineau membre d’une certaine catégorie socioprofessionnelle (élevée, cela s’entend) d’être introduit au sein des tourterelles appartenant à la même. En gros, le moineau qui n’affiche pas clairement une certaine distinction n’est pas ou peu intéressant. N’est-ce pas cruellement humain ? L’expatrié hors de son contexte habituel ne fait pas exception à la règle d’homogénéité sociale.
La seconde solution pour le nouveau résident qui vient de faire la connaissance lors de la grande Soirée Blanche du village – grâce à la mairesse – des tourterelles et des moineaux (comme lui fraîchement tombés du nid) est donc de se rapprocher de ces derniers. Un peu perdus, un peu seuls, en proie aux mêmes questions sans réponses, aux mêmes difficultés d’intégration, une multitude de choses les associent, à commencer par leur statut de moineau. Côtoyer ses semblables est sans aucun doute la démarche sociale la plus simple à réaliser pour l’expatrié. Pas de rapport supériorité-infériorité, anciens-nouveaux, gaulois-romains… tous à la même enseigne ! Ainsi, heureux de se retrouver ensemble, les moineaux créent des liens ; partagent des informations et des sujets communs ; échangent leurs impressions, les raisons personnelles ou professionnelles sur leur choix de vie ; parlent de la famille restée loin ou du passé de chacun. Parce que pour eux ces préoccupations sont récentes, voire encore douloureuses, et parce qu’ils s’intéressent les uns aux autres. Ils développent des affinités, s’invitent, se reçoivent, pépient de bonheur dans leur nouveau cercle intime. Bref, comme je vous l’exposais dans mon précédent post : tout est beau, tout est bleu comme le lagon, tout est bon comme dans le coch... Ah ben non ! du cochon, ici, ce n’est pas ce qu’il y a de plus simple à trouver !
Vu de l’intérieur, cette fois-ci, les habitants de Wisteria Lane s’organisent et se choisissent.
Mais dites-moi, vous êtes-vous déjà demandé si ces personnes devenues de bons potes, voire des amis pour certains, auraient pu se croiser dans leurs vies d’avant ? Je veux dire : toute notion géographique dans les pays d’origine mise à part, existait-il une petite chance pour que ces rencontres aient pu avoir lieu ? Et si oui, une autre petite chance pour que ces inconnus se soient approchés, munis d’un intérêt mutuel sincère ? Auraient-ils eu ensuite envie de se revoir, de devenir amis ? Il est également question ici de la fameuse homogénéité sociale.
Sur ce point, les avis sont partagés.
Certains vous diront avec aplomb que rien ne les prédisposait à fréquenter ici une telle ou un tel, mais que justement, ici, tout est différent. Les marqueurs et critères ne sont pas les mêmes qu’en Europe. Le « choix » est plus réduit, tout en s’offrant cependant à vous sans que cela vous demande le moindre effort. Quel paradoxe ! Secouez un cocotier et une dizaine de moineaux en sortiront ! Ces mêmes personnes vous expliqueront que ces relations sont souvent superficielles, qu’elles font certes partie de leur vie d’expatrié, mais pas de leur vie tout court ; nuance.
D’autres vous exprimeront – avec une certaine candeur – que ces amitiés-là sont les plus belles, les plus riches, les plus profondes et sincères. Un peu comme un homme qui parle de sa couille droite (s’il s’attribue la gauche), ou inversement bien sûr, en évoquant son meilleur pote à la vie à la mort, rencontré lors de son service militaire des décennies en arrière, alors que rien ne semblait à première vue les rapprocher. Il est des expériences qui marquent, c’est certain.
Sur le sujet, même si je comprends les deux points de vue, j’avoue être encline à penser qu’en quittant une terre d’accueil, lieu d’une période importante de sa vie, que ce soit pour rentrer au bercail ou s'installer ailleurs, on peut tout à fait avoir l’impression d’être amputé d’une couille ! Et comme ça fait mal, ben ça fait pleurer ! Vous aurez compris l’idée. Le ressenti serait le même, évidemment, face au départ d'une personne, d'une famille, à laquelle on s'est attaché. En fait, dans les circonstances, peu importe celui qui quitte !
Moi, je dirais que si je suis heureuse aujourd’hui dans ma vie d’expat, c’est parce qu’elle est composée de personnes qui me sont chères et que j’ai bel et bien choisi de conserver au plus près, parmi d’autres révélant à priori moins d'intérêt. Ajoutées au plaisir que procurent les discussions, les rires ou la simple présence de l’autre, la confiance, l’honnêteté, la sincérité, la complicité sont pour moi les piliers de l’amitié. Étant cependant quelqu’un d’entier et lourdement pénalisée par l’hyperémotivité qui me caractérise, je souhaite simplement ne pas m’être trompée, comme bien des fois jusqu’ici dans ma vie affective.
Wait and see !
Je conclurai en vous disant que la tourterelle que je serai incessamment sous peu (bientôt deux ans dans mon habitat résidentiel), aidée de ses copains et copines devenus tourterelles aussi, fera tout pour accueillir respectueusement les gentils moineaux constituant les nouveaux résidents en quête du soleil mauricien, tout comme l’ont fait sans réfléchir quelques-uns des anciens colombidés à mon arrivée ici. Je me souviendrai que grâce à ces hospitaliers, ma vie sociale et amicale à Maurice aura pris un beau tournant, s’emplissant de charmantes et attachantes personnes.
La nature humaine est parfois bien déroutante, mais elle sait aussi réserver de belles surprises. Je préfère croire en sa capacité à changer et à évoluer vers le bon, ou tout au moins le mieux ; c’est ma nature, vous l'aurez compris.
J'embrasse tous les moineaux et tourterelles de Fairview !