Adieu, Jean-Pierre Bacri !
Le cinéma français vient de perdre un grand nom : Jean-Pierre Bacri s'est éteint des suites d'un cancer, le 18 janvier 2021 à Paris.
Avant lui sont partis des monstres du grand écran ; pour n’en citer que quelques-uns de ceux que j’affectionnais et admirais : Jacques Villeret (2005), Valérie Benguigui (2013), Jean Rochefort (2017), Jean-Pierre Marielle (2019), Anémone (2019), Claude Brasseur (2020) …
Il y a trois jours, l’incomparable Bacri les a rejoints.
Je ne verserai pas dans le larmoyant, ne ferai aucun plagia d’article ou autre podcast ayant déjà – et de bien belle façon – tout dit ou révélé sur l’homme et le comédien talentueux qu’il était. De plus, je n’ai pas vraiment préparé ce post ; ne me suis pas renseignée sur sa vie ; n’ai pas souhaité recueillir davantage d’informations que celles que je connais sur son parcours, sa filmographie, ses casseroles ou ses succès. Je n’ai donc pas la prétention à travers mes écrits de savoir le mettre en lumière mieux que ne l’ont fait ou ne le feront quantité de proches, confrères du grand écran et journalistes spécialisés. Ce que je souhaite aujourd’hui, humblement, c’est en parler et faire résonner dans ces quelques mots un merci… celui de nous avoir régalés pendant tant d’années de son talent.
Associé depuis des décennies à l’actrice et réalisatrice Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri aura co-écrit avec elle neuf scénarios (dont cinq films qu’elle a réalisés) et partagé de nombreuses affiches et récompenses. Quasi indissociable, le duo professionnel surnommé « Jabac » par le réalisateur français Alain Resnais fonctionnait parfaitement, devant et derrière les caméras. Grande fan de la toute aussi talentueuse Agnès Jaoui, je n’ose imaginer l’amputation que doit représenter pour elle le départ de son âme sœur, son complice de toujours.
Bacri est pour moi un acteur hors du commun qui aura régulièrement, et avec un succès indiscutable, affiché sur les écrans son faciès bougon d’éternel râleur, pessimiste, agacé, névrosé… pour nous offrir avec une puissance restée intacte une succession d’interprétations d’une incroyable qualité.
Vous pouvez penser que j’en fais trop, libre à vous, mais il se trouve que depuis ce jour de 1993 où j’ai découvert la comédie Cuisine et dépendances (de Philippe Muyl, avec entre autres la formidable Zabou Breitman), césarisée pour le meilleur scénario et adaptée de la pièce de théâtre elle-même écrite par les « Jabac », mon engouement pour le septième art a pris un tournant. Lorsqu’ont suivi, en 1996, l’excellentissime Un air de famille (de Cédric Klapish), puis l’année suivante On connaît la chanson (de Alain Resnais), tous deux à nouveau récompensés du César du Meilleur scénario, ainsi que Le Goût des autres, réalisé deux ans plus tard par Agnès Jaoui elle-même et également auréolé de la précieuse distinction, nul doute que le cinéma français tenait dès lors un tandem ingénieux et efficace.
Bien entendu, ne le connaissant pas personnellement, je ne peux parler de l’homme qu’il était. De ce fait, je ne chercherai pas à rendre hommage à l’intimité de sa personnalité. En revanche, ce que je peux évoquer avec vous, c’est l’acteur et son charisme, tout ce qui faisait que je ne ratais aucun de ses films.
Jean-Pierre Bacri incarnait le tempérament, l’intransigeance, l’exaspération, le cynisme, la mélancolie, mettant dans son jeu d’acteur autant d’émotion et de justesse que dans ses scripts. Fervent critique de la bêtise humaine et détracteur du conformisme et du sectarisme, c’est finalement au travers de ses dialogues caustiques autour de sujets de fond magnifiquement ordinaires que chacun de ses admirateurs avait, je pense, le sentiment de le connaître. Au-delà de la volonté de faire rire, Agnès et lui ont marqué les comédies de leur empreinte singulière, nous livrant une vision décalée, ironique et satirique de la société, à mi-chemin entre le cinéma d’auteur et le cinéma populaire.
Dans une interview donnée au Monde en 2003, il déclarait :
"Je sais que j'ai cette image de casse-couilles qui fait la gueule... C'est ma façon d'être […] Moi aussi, j'ai envie d'être aimé. Pas à n'importe quel moyen. Pour moi, le sourire doit être spontané ou ne pas être. Je n'ai rien à vendre, je ne suis ni VRP ni animateur de télévision. Les gens qui me connaissent savent que je suis un joyeux luron. J'aime rire et faire rire, mais quand quelque chose me gonfle, je le dis !"
Comment ne pas se souvenir de cet extraordinaire comédien qui campait des personnages souvent dépassés par les évènements, antipathiques, agressifs, aigris, ne doutant de rien ? Du créateur de répliques cinglantes, de scènes cultes dans de nombreux films tout aussi cultes, de messages subtiles, piquants et pertinents.
Il m’a fait rire et pleurer, m’a touchée, m’a émue, et parfois même sans mot dire. Sa prestance associée à son travail impeccable, maîtrisé et abouti l’a toujours rendu épatant à mes yeux !
Je vous avoue ne pas réaliser encore que son départ nous prive définitivement des nombreuses pépites dont il aurait encore été l’artisan. Alors, si vous ne connaissez pas (ou peu) sa filmographie, n’attendez plus et ne vous privez pas du plaisir délicieux de découvrir ce grand acteur.
Pour vous et selon moi, voici les titres de quelques uns des plus beaux succès du cinéma français de ces dernières années dans lesquels on retrouve le Grand Bacri :
Mes Meilleurs copains (1988), Cuisine et dépendances (1992), Un air de famille (1996), On connaît la chanson (1997), Didier (1997), Le goût des autres (2000), Comme une image (2003), Selon Charlie (2005), Le Sens de la fête (2017), Place Publique (2018), Photo de famille (2018).
Je n’ai plus alimenté la vidéothèque de mon blog depuis bien longtemps par manque de temps, mais la critique du film Un air de famille, certainement mon préféré, s’y trouve depuis le début de mon aventure du Sourire aux livres.
Pour conclure, trois extraits mythiques ou bandes annonces, à savourer sans aucune modération, tirés des films Le sens de la fête (Olivier Nakache, Éric Toledano, 2017), Le Goût des autres (Agnès Jaoui, 2000), Un air de famille (Cédric Klapisch, 1996), Photo de famille (Cécilia Rouaud, 2018), parce qu’il fallait bien faire un choix…