Le sourire aux livres
Delphine Raimond, en direct de l'Île Maurice
Où es-tu?
Marc Levy
Sans savoir pourquoi, je n’ai jamais vraiment accroché avec Marc Levy. Les intrigues, le style… Pourtant, il a toujours été le pendant de Musso en partageant avec lui depuis quinze ans un palmarès impressionnant de best-sellers français. J’ai eu l’occasion de découvrir Où es-tu ?, prêté par une amie m’en disant du bien, et ai voulu, des années après, laisser finalement une chance à l’auteur, ou plutôt à mon regard plus aiguisé, plus mature. Globalement, ça en valait la peine.
L'histoire :
Susan, membre humanitaire passionné, consacrant sa vie aux plus démunis, loin des siens. Philip, publicitaire prometteur à Manhattan, rempli d’espoirs et d’illusions, dans l’attente fidèle de la voir revenir à ses côtés. Chaque année, dans la cafétéria d’un aéroport et entre deux avions, ils se retrouvent. Mais comment être sûrs de ne pas s’être déjà perdus ?
Mon avis:
Une intrigue qui séduit, qui promet originalité et mystère. Après une introduction un peu technique de deux pages sur la formation d’un ouragan au large du Honduras, le lecteur fait une entrée directe dans l’histoire : un jeune couple qui se connait depuis l’enfance et s’aime manifestement depuis et pour toujours, mais qui se sépare pour la première fois, parce que le chemin de vie de chacun prend une direction irrémédiablement opposée.
Une écriture claire sur un sujet qui capte l’attention : une poignante séparation dans un aéroport. Nous sommes en septembre 1974.
Malgré des dialogues un peu creux, les premières pages pour planter le décor et décrire la vie de Susan et Philip jusqu’à ce tournant sont nécessaires ; je me dis à ce moment que l’histoire va forcément démarrer. Effectivement, s’en suit un échange de lettres que les amants s’écrivent, courriers qui bien souvent se croisent et à travers lesquels le lecteur prend conscience en même temps que Philip des conditions de vie de la jeune femme ayant rejoint une unité d’aide humanitaire dans un pays dévasté par un ouragan meurtrier. Un pays où la population n’a plus rien, où des enfants sont morts par centaines… L’auteur nous distille des informations précieuses et bouleversantes, nous dévoile aussi le grand cœur de l’héroïne : « Dis-moi, Philip, dis-moi pourquoi nos grandes nations envoient les hommes par légions pour faire la guerre, mais ne sont pas capables d’en envoyer quelques poignées pour sauver des enfants ? »
Au rythme des pages, des lettres datées – excellent repère dans le temps –, du rendez-vous annuel dans cet aéroport – même endroit, même table – comme on enfoncerait un poignard dans le cœur de deux êtres liés à jamais et pourtant voués à vivre séparés, les années s’écoulent et le lecteur découvre ces deux vies parallèles.
Je dois bien le dire pourtant, les deux protagonistes ne sont pas particulièrement attachants, l'on pourrait le reprocher à l’auteur. Néanmoins, j’ajoute avec sincérité que mon cœur s’est serré très souvent.
Philip est désabusé face à celle qu’il aime et qui choisit de rester loin de lui. « Quel étrange destin que d’ignorer ceux qui t’aiment pour aller donner de l’amour à ceux que tu ne connaîtras pas ! » ; « […] Susan, aimer ce n’est pas renoncer à sa liberté, c’est lui donner un sens. » Quel homme juste, loyal et respectueux !
De son côté, Susan souffre sans se l’admettre, mais s’endurcit. Provocante, sarcastique, égoïste, elle ne comprend bientôt plus ses choix. Se perd.
La suite, je ne vous la dévoile pas (et trop le font pourtant dans certaines critiques que j'ai pu lire, c'est dommage), car elle réserve bien des surprises et encore beaucoup d’émotion.
Après un démarrage un peu poussif, quelques longueurs et un récit un peu fade frôlant parfois le vraisemblable, la première partie reste somme toute intéressante, notamment dans les descriptions de la vie de Susan, son dénuement, ses choix d’être là où tout fait défaut, où tout manque.
À l’aube de la seconde partie, l’auteur nous laisse abasourdis… avant de nous emmener dans une suite surprenante ouvrant sur des rebondissements et laissant à d’autres personnages un rôle capital. La deuxième moitié du livre est pour moi une histoire dans l’histoire, nous extirpant subitement de l’ennui.
Ce roman parle d’amour, de confiance absolue, mais aussi de culpabilité. De courage, de grandeur d’âme et de persévérance.
Le récit fait la part belle à l’émotion et certains passages sont poignants. Le dénouement est travaillé, inattendu, même s’il ne m’a pas forcément éblouie.
Je reste alors sur le soin apporté à la construction de cette histoire et la redécouverte de l’auteur à qui je veux bien accorder davantage d’intérêt si l’occasion se présente à nouveau.