Le sourire aux livres
Delphine Raimond, en direct de l'Île Maurice
Même les méchants rêvent d'amour
Anne-Gaëlle Huon
Je ne connaissais pas la plume de cet auteur et avais un peu peur de la banalité de cette histoire, je l’avoue.
Mais dès les premières lignes, Anne-Gaëlle Huon m’a séduite avec son style simple mais bien écrit, frais, agréable. Touchant.
Belle découverte !
L'histoire :
Le médecin de Jeannine, cette mamie à l’aube de ses 90 ans, lui annonce que sa mémoire est en train de se faire la malle. Pour ne pas se perdre, ne rien oublier et laisser à sa petite-fille Julia – sa Lili, sa libellule – ses mémoires, le récit de son enfance, son adolescence, sa vie entière, elle consigne le tout dans un carnet qu’elle lui dédie. Entre révélations et confidences malheureuses, Julia découvrira bientôt toute la vérité et pourrait bien souhaiter réécrire le passé de sa grand-mère adorée.
Mon avis:
L’histoire est bluette, un peu facile, voire carrément banale. Au départ, elle me rappelle bien d’autres récits et prend même des airs de Grimaldi ou de Valognes. Alors quand je me lance, j’espère de tout cœur que ce livre me surprendra néanmoins. Bingo ! Le miracle a lieu ! Non seulement, en dépit de personnages un peu caricaturaux, la narration est pleine d’une sensibilité qui nous touche profondément, mais en plus, l’alternance entre passé et présent au fil des chapitres est bien maîtrisée et structure le roman.
Jeannine a fait une mauvaise chute et se voit placée à la Bastide, une joyeuse maison de retraite animée par de gentils pensionnaires drôles et attachants. Julia arrive de Paris pour être à son chevet et occupe pendant son séjour la maison de la vieille dame au cœur de la Provence. C’est le lieu de tous ses souvenirs, le recueil de son enfance heureuse. La jeune femme retrouve Lucienne, l’amie de toujours de sa grand-mère, et fait rapidement la connaissance d’une pléiade de protagonistes, personnages secondaires mais ô combien précieux ! Entre autres, Felix, l’assistant de vie de Jeannine qui devient son confident ; Antoine, le beau et mystérieux trufficulteur ; Pierrot, Fernand, Madeleine, Gisèle… tous les résidents de la Bastide qui perdent eux aussi un tant soit peu la boule.
Le décor est planté et tout ça sent bon la lavande et la garrigue, sur fond de mistral, peuchère !
Même si l’intrigue est plutôt classique et que l’on devine rapidement certains secrets de famille, les allers-retours dans le passé de la jeune Jeannine sont exaltants. L’auteur sait progressivement et à un rythme parfait nous troubler, nous intriguer, nous tenir en haleine quant aux révélations de la grand-mère à sa petite fille. Et quelle idée géniale que celle de raconter avec lucidité ce qui ne pourra bientôt plus l’être, faute de perdre, justement, cette même lucidité ! Dans son carnet, l’attendrissante mamie a consigné des listes, semé des photos, confié des secrets, et tout prend vie avec un réalisme percutant.
Je peux même vous avouer que c’est Jeannine qui m’a inspiré mon post du 4 janvier : « Les petits bonheurs de l’existence ».
L’intérêt monte crescendo et l’intrigue est bien menée. L’écriture est soignée et l’émotion palpable. Au fur et à mesure, le lecteur s’approprie toute une galerie de personnages plus touchants les uns que les autres, et s’émeut de l’amour sincère qui unit Jeannine et Julia, du désespoir de cette dernière face à celle qui ne la reconnaît bientôt plus.
Ce roman parle de la vieillesse, de la fuite de la mémoire, de la terrible maladie d’Alzheimer, son évolution rapide, la souffrance des proches, le rôle capital des aidants et soignants.
Mais il évoque aussi et surtout l’amitié indestructible, l’amour vrai, la passion, la tendresse. La vérité, les non-dits, les terribles mensonges et leur incidence sur toute une vie.
L’on y trouve au travers de ses chapitres et paragraphes beaucoup de douceur, du respect, de la délicatesse et de la poésie.
Les mots d’Anne-Gaëlle m’ont à la fois réchauffé et pincé le cœur, les dernières pages de son roman m’ont même tiré une petite larme… et beaucoup d’émotion.
S’il devait y avoir un message plus explicite que les autres dans ce beau roman, ce serait celui de profiter de ses aïeux avant qu’ils ne disparaissent, de les aimer vivants avant de les pleurer morts. Les interroger sur leur vie, leur histoire, leurs souffrances et leurs secrets, avant qu’ils ne partent en emportant tout, qu’ils nous laissent en ne laissant rien. Et c’est avec beaucoup de finesse et d’intelligence que l’auteur le retranscrit.
Chapeau !