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Le sel de tous les oublis

Yasmina Khadra

Auteur de best-sellers traduits dans une cinquantaine de langues, Yasmina Khadra est un retraité de l’armée algérienne à qui il a voué vingt-cinq ans de sa vie, avant de se consacrer totalement à l’écriture, dans les années quatre-vingt-dix. Il cumule un nombre impressionnant de récompenses littéraires (notamment en France) pour des ouvrages engagés, entre autres, dans la défense des droits de la femme musulmane et les rapports inextricables entre l’Orient et l’Occident.

L'histoire :

Adem Naït-Gacem, instituteur dans une petite bourgade algérienne, est quittée par sa femme, partie rejoindre son amant. Anéanti et poignardé dans son orgueil, Adem quitte à son tour le village, l’école, sa famille et ses repères, pour s’engager sur les routes, sans autre but que l’errance.

Mon avis:

La plume de l’auteur est singulière. Aussi poétique que rugueuse. Une écriture tranchante dotée d’un vocabulaire riche. Des phrases majoritairement courtes, mais lourdes de sens. Il y a, me semble-t-il, chez cet auteur un côté Albert Camus, et l’on retrouve dans le héros, les aspérités dérangeantes de L’Étranger. Néanmoins, c’est bien au travers d’un récit semé d’embûches et d’aventures, flanqué de personnages marginaux, que Yasmina Khadra met en scène l’âpreté, le cafard aussi indescriptible qu’incompréhensible, d’un homme à qui le lecteur prête – ou non – les raisons d’en être affublé.

 

Le roman est un tableau de l’Algérie rurale aux lendemains de l’indépendance (5 juillet 1962) ; le FLN (Front de Libération Nationale), des abus et inconduites de son fonctionnement ; de la dictature d’un parti unique qui fait main basse sur les richesses du pays en extirpant illégalement aux fermiers leurs terres et propriétés pour se les attribuer.

Le roman décrit avec une grande subtilité – et jusqu’au bout – la position de la femme algérienne (et musulmane) dans les années soixante, et peut-être même la valeur et l’importance de la femme dans la vie des hommes d’aujourd’hui. Il renseigne aussi et surtout sur la place de l’homme dans le mariage – et hors mariage –, son pouvoir et son autorité, la notion de possession absolue.

Ça parle de fierté, d’orgueil, de trahison. D’arrogance et de mépris.

Le roman dépeint l’errance, jusqu’à la déchéance. Il y est question de honte, de quête de solitude, d’incommensurable orgueil, de fuite, d’autodestruction…

Mais le roman décrit aussi la gentillesse, la bienveillance, l’optimisme et l’entière générosité, incarnées par un grand nombre de personnages qui croisent la route d’Adem, comme Mika, ce facétieux nain philosophe, gentil et bienveillant, qui se heurte, lui aussi, à la noirceur et à l’antipathie de l’antihéros. Ce dernier est recueilli, aidé, soigné, conseillé, mais reste pourtant magistralement impitoyable, inflexible et sans cœur.

Une belle fresque sur la condition humaine.

 

En outre, le roman peut amener le lecteur à s’interroger sur l’espoir, la résilience, la croyance en un monde meilleur, la possible vie après l’échec, mais lorsque c’est au travers des agissements d’un protagoniste déplaisant, voire odieux, quid de la véracité du message ?

Adem est horripilant, affligeant, déprimant… méprisable ! Il rumine, rejette, refoule, jusqu’au jour où il est rattrapé par ses vieux démons.

Une histoire bien construite et surtout très bien écrite, malgré une fin un peu déroutante ; dommage.

 

Un roman noir, glauque, mais une écriture sensible, réaliste et touchante.

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