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Le Consentement

Vanessa Springora

Une glaçante histoire vraie. Celle de Vanessa Springora, éditrice, écrivaine et réalisatrice française de quarante-neuf ans. Un récit livré à cœur ouvert dans un premier roman publié en 2020, grand succès de librairie. Et pour cause ! La plume de l’auteur racontant son vécu irréaliste dans les années quatre-vingt est véritablement accomplie.

L'histoire :

Trente ans après les faits, V. (Vanessa Springora) revient sur son adolescence, son histoire intime, à quatorze ans, avec un célèbre écrivain de trente-six ans son aîné. Les dérives de la société au travers d’un microcosme culturel en plein déni de moralité.

Mon avis:

Le choc est le premier mot qui me vient.

Est-ce le choc de ce que la narratrice et auteure a vécu en toute impunité – ou presque – au début des années quatre-vingt, sous les yeux bien ouverts d’un public majoritairement accommodant ? Ou le choc de ce que la situation déjà anormale à l’époque provoquerait sans conteste aujourd’hui, alourdi par un cautionnement impensable et un consentement irrecevable au XXIe siècle ?

Sous les mots de Vanessa, précis, libres, la description de sa relation avec G. (comme elle le nomme tout au long du roman), empreinte de naturel, d’évidence, de sentiments profonds, puissants et partagés. Et au-delà des désillusions qu’elle mettra presque trois ans à se prendre en pleine figure, c’est bien d’une relation mineurs-adultes parfaitement consentie qu’il s’agit.

Le fameux consentement concerne les deux partenaires, bien sûr, mais aussi – et c’est là que réside l’indignation du lecteur – toute la sphère politique, littéraire et médiatique de l’époque. Sans parler de celui de sa mère qui, à dix-huit ans en 1968, s’était empressée de se libérer du carcans éducationnel.

« Comme les héroïnes des films de Godard ou de Sautet, elle aspire maintenant plus que tout à vivre sa vie. » Ce qui sous-entend pour Vanessa l’aval d’une mère ayant toujours trouvé sa fille plus mûre que la normale, l’acceptation d’un gendre largement plus âgé qu’elle-même.

 

Les toutes proches années soixante-dix incarnent bien la dépénalisation des relations sexuelles entre mineurs et adultes, autrement dit le respect de leur liberté sexuelle ; la circulation d’un grand nombre de pétitions pour dénoncer ladite répression et afficher les signatures des plus grands intellectuels du moment ; les nombreuses actions en faveur de l’émancipation sexuelle ; la colère de journalistes et écrivains de renom quant aux incarcérations d’hommes accusés d’avoir eu des rapports avec des enfants de moins de quatorze ans, de simples affaires de mœurs ne présentant alors aucune violence sur des mineurs parfaitement consentants, etc.

« Une dérive, et un aveuglement dont presque tous les signataires de ces pétitions s’excuseront plus tard. » Plus tard voulant dire une bonne trentaine d’années après !

 

Alors, la fillette qu’est Vanessa lorsqu’elle se laisse séduire par l’homme au charisme ensorcelant, et happée dans cette histoire incongrue, trouve en G. un regard, une voix, une aura. Une présence et une protection masculines qui ne sont pas sans rappeler les manquements d’un père absent. Voue à son amant une admiration intellectuelle et une dévotion charnelle sans limite.

Une gamine fragile à la recherche d’une nouvelle identité. Une fillette transie d’amour qui enfin intéresse, qui enfin existe !

« Et comment pourrait-il être mauvais, puisqu’il est celui que j’aime ? Grâce à lui, je ne suis plus la petite fille seule qui attend son papa au restaurant. Grâce à lui, j’existe enfin. »

 

Le Consentement, c’est l’histoire de l’enfant, la proie, l’emprise, la déprise, l’empreinte et l’écriture, déclinés tour à tour en six parties. L’histoire des marques indélébiles que cette relation aura laissées sur V. tout au long de sa vie de femme. Une histoire d’amour arrosée de la candeur d’un très jeune âge. La profondeur d’un premier vrai rapport sentimental, la notion d’appartenance totale et de confiance aveugle en l’autre, sans aucun questionnement ni pudeur. La naïveté d’une jeune adolescente qui ne connait alors « ni le terme de pervers narcissique, ni celui de prédateur sexuel. »

V. a tout juste quatorze ans, G. en a cinquante, la couvre d’une passion dévorante et fait sa complète et sensuelle éducation sexuelle ; et alors, où est le problème, puisqu’ils s’aiment ?

   

Le Consentement est l’apologie du scandale ; le cautionnement d’une situation immorale par un public amoral ; le soutien du cercle des intellectuels en vogue aveuglés par la notoriété ; celui du corps médical encourageant des pratiques inconvenantes et licencieuses ; l’éloge d’un auteur prolifique et respecté (G.M.), allant pourtant jusqu’à décrire dans certains de ses livres ses penchants éphébophiles* et pédophiles, et dont les actes sont guidés par deux motivations : jouir et écrire.

 

Mensonges, désillusions, prise de conscience brutale, réputation à reconstruire, stigmates à soigner… il aura fallu beaucoup de temps à Vanessa Springora pour prendre conscience des faits et se reconnaître dans la notion de victime.

« Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger, mais la sienne. »

 

Ce livre extrêmement bien écrit dérange et pose question sur l’état inconscient dans lequel se trouve un être sous emprise. De surcroît lorsque le prédateur est un écrivain de renom, plusieurs fois récompensé, politiquement et culturellement protégé.

 

Quoi qu’il en soit, Gabriel Matzneff, puisque c’est bien de lui qu’il s’agit, sera jugé pour apologie de viol aggravé cette année. À suivre.

 

*éphébophilie : préférence sexuelle d’un adulte pour des adolescents ou adolescentes pubères.

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