Le sourire aux livres
Delphine Raimond, en direct de l'Île Maurice
le ciel attendra – 2016
J’avais vu ce film au cinéma en France, à sa sortie en 2016. Je me souviens encore de mon ressenti, à l’issue et plusieurs jours durant : j’étais bien remuée.
J’ai tenu à le revoir et mon émotion a été la même, voire plus intense. L’on capte souvent au second visionnage davantage de détails, d’informations, de perspicacité au travers des actions et répliques, d’une profondeur et d’une puissance plus marquantes encore.
Le film raconte deux vies plutôt ordinaires d’adolescentes dans une cité de banlieue. Correctement aimées et entourées, rien de grave ou dangereux n’est supposé pouvoir heurter leur existence.
Sonia, dix-sept ans, vit avec ses deux parents, Catherine (Sandrine Bonnaire) et Samir (Zinedine Soualem), et sa petite sœur, dans un environnement sain et équilibré. Mélanie, seize ans, est élevée dans l’amour et l’intérêt de sa mère, Sylvie (Clotilde Courau). Elle est enjouée, fait du violoncelle, a des amis et est résolument tournée vers les autres.
Pourtant, leur vie bascule.
Au-delà des deux protagonistes, tous les personnages (même aperçus) ont leur importance, leur rôle à jouer ; c'est aussi là que se trouve la force de ce film. Certaines scènes sont violentes psychologiquement, désolantes, désarmantes.
La réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar met en parallèle les deux parcours de ces gamines converties – parmi tant d’autres – à l’islam. Les modes de vie, les journées rythmées par les prières, ce besoin de contact permanent avec « le réseau », la conviction d’agir pour une juste cause guidée par la foi et l’amour, la préparation pour le grand voyage… La colère, les affrontements avec les proches (famille, amis), la rupture, l’isolement, les comportements déviants, la folie… L’incompréhension et l’impuissance des familles, mais leur présence envers et contre tout. Les groupes de paroles où la médiatrice parvient tant bien que mal à expliquer, aider, tendre la main aux victimes voilées restées sur le sol français, ainsi qu’à leurs proches.
La solidarité, la détresse, la présence, le soutien, l’accompagnement, la gravité... tout est sobrement et justement exprimé. De plus, la bande son, pertinente, nous fait dresser les poils, et les plans rapprochés sur les détails des scènes, les visages d'une expression bouleversante sont d'un esthétisme impeccable et nous plongent dans une grande émotion.
Sonia, déjà enrôlée, est arrêtée avant d’avoir eu le temps de se rendre en Syrie, soupçonnée de vouloir commettre un attentat terroriste en France. Voilà comment le film démarre. Cette gamine totalement perdue, nerveuse, terrorisée, comme possédée, ne remet pas pour autant sa foi en question, n’y renonce pas. Tout ce qu’elle souhaite, finalement, c’est sauver les siens de l’enfer, se présenter en martyr pour leur salut. Ses croyances la transforment, la rendent folle : elle n’est plus elle-même. Sa mère souffre avec elle, mais ne la lâche pas.
Mélanie œuvre depuis toujours pour les bonnes causes, fait de l’humanitaire, rend visite à sa grand-mère à l’hôpital, est bien dans ses baskets. Lors d’une épreuve douloureuse, elle est harponnée en ligne à travers l’association Épris de liberté par un interlocuteur inconnu qui la comprend immédiatement, la réconforte. C’est un prince, "son prince", elle est pour lui "son diamant brut". Ils échangent des messages, se rapprochent, elle tombe amoureuse. Il lui demande d’arrêter la musique, de ne plus regarder aucun garçon, de se voiler, etc. C’est le début de l’embrigadement.
Je ne vous en divulguerai pas davantage pour vous laisser découvrir le mécanisme de la radicalisation et les difficultés de la déradicalisation. Sonia et Mélanie s’en sortiront-elles ?
D’un réalisme effrayant, le sujet touche et concerne tout le monde car cette situation n’arrive pas qu’aux autres, malheureusement. Chacun peut en être la proie et c’est en ça que le film nous apprend énormément de choses sur les mécanismes de dépendances et d’emprise des maîtres du djihadisme.
Gamines fragilisées, rendues vulnérables, proies faciles et manipulables. Parents démunis, désemparés, mais combattants. Actrices époustouflantes. Un film tourné à la manière d’un docu-fiction qui nous informe, nous émeut aux larmes et parvient malgré tout à livrer un message d’espoir.
Du beau cinéma !