Le sourire aux livres
Delphine Raimond, en direct de l'Île Maurice
La tresse
Laetitia Colombani
La couverture en ombre chinoise de ce petit livre de poche m’a littéralement appelée.
Une mère s’apprêtant à tresser les cheveux de sa petite fille en premier plan, et derrière elles, un ciel jaune éclatant. Un réel esthétisme et une quatrième de couverture attrayante sont les meilleurs arguments.
Excellent choix : La tresse est une belle découverte, un roman vibrant d’humanité.
L'histoire :
En Inde, Smita, de la caste des Intouchables, vit dans la misère la plus honteuse et refuse de donner à sa fille de six ans, Lalita, la même destinée. En Sicile, Giulia, vingt ans, découvre – alors que son père est dans le coma – que l’entreprise familiale est au bord de la faillite. Au Canada, Sarah, grande avocate et associée du prestigieux cabinet Johnson & Lockwood, est une working girl et super maman qui voit le sol qu’elle pensait solide se dérober sous ses pieds lorsqu’elle apprend qu’elle est gravement malade.
À priori, rien ne lie ces femmes, et pourtant…
Mon avis:
Trois femmes, trois coins du Monde, trois vies tracées, trois destins qui seront bientôt bousculés au hasard d’un virage, d’une décision, d’une volonté inébranlable de rester debout.
L’écriture est agréable, fluide. Les chapitres sont courts, mais efficaces.
Le décor est planté dans les trois premiers, qui présentent tour à tour chacune de ces femmes, leur vie, leur univers.
Poignante et révoltante est l’histoire de Smita, Nagarajan et leur fille Lalita. L’auteur nous dépeint sans pudeur les conditions et difficultés de vie en Inde pour les différentes castes et surtout celle des Dalits, les rebuts de l’humanité, les Intouchables parce qu’ils ramassent la merde des autres et ce de génération en génération. La mère travaille en apnée pour ne pas respirer ce qu’elle remue et qu’elle vide à mains nues tous les jours. Le père chasse et tue les rats. Une minuscule cahute pour maison, pas de terres ni de considération. En guise de salaire : les restes de nourriture des Jatts, en guise de dîner quotidien : du rat. Pas d’autre choix que d’accepter de vivre ainsi – l’enfer sur Terre –, parce que c’est le darma, le devoir, la place des Dalits dans le Monde.
Et si Smita n’en voulait plus, de cette place, justement ?
Touchant est le récit de Giulia qui travaille et a grandi dans l’atelier familial à Palerme, « […] entre les cheveux à démêler, les mèches à laver, les commandes à expédier. » L’entreprise Lanfredi fabrique depuis des décennies des perruques et postiches dans une ambiance joyeuse et détendue, sous l’égide du patron (le père de Giulia) autoritaire mais bienveillant. L’on découvre la vie au village, à l’atelier. Les ouvrières attachantes, pipelettes, maternelles et affectueuses avec Giulia. L’auteur nous sert avec rythme, le soleil et l’accent chantant de l’Italie, les frissons, l’amour, les odeurs de citron, d’oliviers… le bonheur simple. Et puis, l’accident du patriarche, le coma, la vérité trouvée dans un tiroir de son bureau à l’atelier, la ruine, le personnel bientôt sur le trottoir.
Et si Giulia avait une solution pour sauver l’entreprise ?
Impitoyable est le monde dans lequel évolue Sarah, brillante avocate à Montréal. Jonglant majestueusement entre son métier prenant et l’éducation de ses trois enfants, Sarah est respectée, s’est fait une place professionnelle méritée, légitime. Mais le verdict tombe, ce mot « que personne ne prononce, […] qu’il faut deviner, derrière les périphrases, le jargon médical dans lequel on la noie. On dirait qu’il est une insulte, qu’il est tabou, maudit. » Le mot, le mal, qu’elle cachera à tous, qui sera pour elle « inavouable et invisible », car Sarah ne lâche rien, continue de se donner à son métier, au cabinet. Vient alors l’opération, la chimio, la perte des cheveux, la pâleur, les cernes, l’affaiblissement de tout son être… Ce qui s’installe alors pernicieusement est pire encore : l’usure, la trahison, le rejet, l’isolement, l’exclusion. On ne veut plus d’elle puisqu’elle est malade.
L’auteur nous livre avec un réalisme limpide l’image terrifiante, inacceptable, que représente le cancer pour la société. Sarah sombre, veut abandonner. Mais Sarah est une amazone, elle se battra jusqu’à son dernier souffle.
Et si elle se donnait les moyens de recouvrer force, dignité, fierté… beauté ?
Ce roman parfaitement orchestré suit un fil conducteur intelligent jusqu’à offrir au lecteur un émouvant dénouement. Il est aussi particulièrement instructif et nous fait découvrir la culture indienne dans ses pires atrocités (viols en masse des femmes, mendicité des fillettes se retrouvant veuves à cinq ans…), ainsi que les traditions italiennes.
Laetitia Colombani nous offre trois belles histoires qui finissent par se nouer en une seule et magnifique tresse d’espoir.
Bravo!