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La grâce

Thibault de Montaigu

Autant vous le dire tout de suite, le sujet religieux, « la sensation inouïe d’un contact charnel avec Dieu », la grâce dans le sens de l’extase divine… très peu pour moi. La quatrième de couverture ne m’emballait pas plus que ça, mais ce roman faisant partie de mon circuit de la Bibliothèque Orange, je voulais comprendre le choix du comité de lecture et le succès de l’auteur.

Sans regret, car La grâce est une belle surprise, une révélation littéraire !

L'histoire :

Autobiographique, ce roman raconte l’histoire d’un homme – un écrivain – installé à Buenos Aires avec sa femme et ses deux enfants dans une vie heureuse, mais qui sombre soudainement dans une dépression. Il met alors ses derniers espoirs de guérison dans l’écriture d’un livre sur la sordide et non résolue affaire Dupont de Ligonnès dont les crimes ont secoué la France cinq ans plus tôt. Thibault s’envole bientôt pour le Vaucluse où il se cloîtrera trois jours dans l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, afin de suivre les traces du fugitif et retrouver l’inspiration. C’est dans la chapelle, un soir, qu’il est touché par la grâce. Pour comprendre ce qui lui arrive et obtenir des réponses, il doit absolument s’adresser à son oncle paternel, Christian, un frère franciscain qu’il connaît très peu. Aussi, lorsque celui-ci décède, Thibault est désemparé. Ayant récolté auprès de sa famille quelques bribes de la vie du défunt, il entreprend de se rapprocher davantage de cet homme, de son parcours tumultueux. C’est son incroyable histoire qu’il racontera finalement.

Mon avis:

Le style de l’auteur est une pure merveille, son écriture est soignée, le vocabulaire recherché, le texte parfaitement écrit, les paragraphes et chapitres équilibrés et bien articulés. La lecture est fluide et le contenu documenté. L’intrigue telle qu’elle nous est présentée en quatrième de couverture nous saisit rapidement, presque par surprise, fondue au milieu de la description d’un office au monastère.

Mais bien plus que ce phénomène étrange qui lui tombe dessus sans prévenir, c’est la quête qui s’ensuit que l’auteur et narrateur raconte. Pour trouver ses réponses, il retracera tout le parcours de vie de cet oncle si discret, si bon, mais si mystérieux, touché lui aussi par la grâce, au même âge, à trente sept ans. De confidences familiales en témoignages de proches du défunt, parfois difficiles à retrouver, le neveu mène l’enquête, comme guidé lui aussi par une force suprême, ou doit-on dire une foi découverte ?

La grâce, c’est « l’histoire d’un aristo mondain, obsédé par le sexe, qui un beau jour a vu Dieu et a tout plaqué pour devenir frère franciscain ».

 

Le livre parle de l’histoire des Montaigu ; de la croyance religieuse plus que limitée de certains membres de la famille, des excès en tout genre, de la démesure, des mondanités. Mais retrace aussi le chemin de croix de Thibault de Montaigu, sur les pas de celui de feu Christian de Montaigu ayant fait un jour vœu de pauvreté et d’abstinence, en contradiction totale et brutale avec une vie menée jusqu’alors dans un monde aisé, privilégié. Dans la luxure et la débauche.

Le roman informe, aussi, et retrace la place importante de la foi et des pratiques religieuses dans les années cinquante, puis la désertification des églises par les générations des années soixante et suivantes qui abandonnaient la religion pour « le progrès technique, […] le cinéma, […] la séduction, […] le désir éperdu de liberté. »

La grâce vous dévoile, en même temps que son narrateur les découvre, les secrets de Christian, de sa vie honteuse durant les années quatre-vingt, de sa condamnation au silence et à la souffrance.

Des scènes violentes, des situations sordides, des descriptions crues... au travers d’une prose incroyable !

L’auteur avance et nous emporte peu à peu dans son voyage initiatique, dans ses découvertes, ses échanges avec les rares témoins, dans ce florilège de révélations sur l’éprouvant chemin de vie de Christian, semé d'embûches, d'échecs et de déceptions.

 

Lorsque je lis, je place des petits post-it sur des phrases, des mots qui me parlent plus que d’autres, qui dénotent, éveillent, confessent… J’en ai rempli ce roman et me suis raisonnée pour ne pas marquer chacune de ses pages, tant la pertinence des mots de Thibault de Montaigu est époustouflante !

J’ai donc envie de partager avec vous quelques extraits, pris sans cohérence particulière, juste pour vous sensibiliser à la plume de l’auteur révélant pour moi un talent incontestable.

 

« C’est parce qu’il avait épuisé tous les possibles, tous les corps, tous les vins, toutes les secousses de la chair, qu’il en est venu à l’impossible. »

« Tous voient encore en lui le Christian si gentil, si sensible, si délicat […] Comme il se hait. Comme il a honte de ce qu’il est devenu. Ce visage déformé, ce corps brisé de toutes parts, c’est son châtiment. La manifestation physique de sa pourriture morale. »

« Oui, il y a plus de bonheur à aimer son prochain qu’à idolâtrer sa propre personne ; il y a plus de grandeur à se vaincre soi-même qu’à tenter de vaincre et de soumettre les autres ; il y a plus de sagesse à accepter le monde dans toute sa beauté et sa souffrance plutôt que de s’insurger en vain contre lui. Voilà la vérité. »

« Sa vie lui paraissait un échec. Alors Dieu lui en a offert une de rechange. »

« […] la pauvreté, c’est un continent qu’il découvre à peine. C’est encore exotique. Tandis qu’eux, ils sont nés dedans. Ça n’a pas été une vocation mais un destin. On peut toujours se choisir une vie humble, ce n’est pas la même chose de la subir. »

« La liberté n’est pas faire ce que l’on désire, mais désirer ce que l’on est en train de faire. »

« C’était soudain d’une évidence foudroyante : je cherchais le diable et j’avais trouvé Dieu ; il avait cru en Dieu et était devenu le diable… »

 

Derrière cette écriture exigeante, raffinée, j’applaudis le travail minutieux et documenté de l’auteur, parti sur les traces de frère Christian, ayant lui-même bâti son parcours sur celles de Saint François d’Assise, passé des siècles auparavant, comme lui, de l’errance à la grâce.

 

Instructif, brillant, brutal, touchant, profond, percutant. Ce roman incite le lecteur à se demander ce que la grâce représente exactement pour tout un chacun.

 

De la grande littérature !

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