
Le sourire aux livres
Delphine Raimond, en direct de l'Île Maurice
Entre mes mains le bonheur se faufile
Agnès Martin-Lugand
Ce roman apparaît entre les deux opus de l’auteur : Les gens heureux lisent et boivent du café et La vie est facile, ne t’inquiète pas. Pourtant très différent de ces-derniers, il m’a une fois de plus embarquée dans l’univers si plaisant d’Agnès, dans son écriture légère et sincère.
Et bon sang ! une fois encore, ce roman a été vivement critiqué par un lectorat qui devrait manifestement se tourner vers d’autres auteurs plus en adéquation avec leurs attentes.
L'histoire :
Iris s’éteint peu à peu dans sa petite vie conventionnelle provinciale, entre un mari médecin qui ne la remarque plus, un travail à la banque terriblement ennuyeux, des soirées entre amis inintéressantes et une famille qui la rabaisse depuis des années, n’ayant jamais cru en elle. C’est lorsqu’elle découvre que ses parents l’ont trahie quant à son rêve de jeunesse de devenir couturière qu’elle fait voler son petit cadre routinier en éclat pour se lancer dans la formation de sa vie. Elle rencontre alors la charismatique Marthe qui « l’aiguille » dans le Paris mondain.
Mon avis:
Une histoire simple (oui !), mais qui parle. À laquelle chacun peut s’identifier immédiatement. Pierre, le mari – grand spécimen d’égoïsme –, décide subitement qu’il est temps de fonder une famille et n’envisage pas son épouse ailleurs qu’à la maison. Ce type nous hérisse le poil ! Mais Iris a d’autres projets bien légitimes dans l’immédiat, elle tient bon et tout se déroule alors rapidement. L’on assiste à son installation dans un petit studio parisien, au pied d’un immeuble haussmannien, dans le quartier de la Madeleine et non loin de l’école de couture. Elle prend enfin sa vie en mains, renoue avec ses rêves, la peur au ventre et les doutes en tête. Elle aime son mari et ne voit dans cette formation de six mois que l’aboutissement de son épanouissement personnel et professionnel. Pierre s’efforce de l’accompagner dans cette décision, sans conviction ni encouragement.
Chapitre 3, tout est en place, Iris démarre sa nouvelle vie, entre semaines parisiennes et weekends qu’elle voudrait en amoureux, chez eux.
À Paris, il y a auprès d’Iris la sublime Marthe, que l’auteur compare à Coco Chanel, responsable de la formation, intendante et maîtresse des lieux, prêtresse de la haute couture. Et au fil des chapitres : le travail acharné de la petite couturière de province au sein de l’Atelier ; ses relations avec Marthe, avec les autres stagiaires plus jeunes qu’elle ; Philippe, le formateur bienveillant ; les interminables essayages ; les réalisations et commandes du Paris mondain…
Iris est très vite remarquée, son talent ne laisse pas l’énigmatique Marthe indifférente et la jeune prodige est propulsée dans un monde qui ne tarde pas à la paralyser, puis la déranger ; et pour cause...
Marthe incarne l’élégance absolue. Généreuse (en apparence), autoritaire et envoutante, elle impressionne, ébranle, ordonne, impose, dicte, façonne… et fragilise.
Iris travaille jour et nuit pour satisfaire son nouveau mentor, et cela fonctionne. Elle est peu à peu introduite dans un monde aussi distingué que superficiel, nourri de futiles réceptions clinquantes et de cocktails mondains réunissant les plus riches clientes, arrosées de champagne sur fond de jazz. Très éloigné de son milieu et de ses aspirations, son avenir est pourtant là, sous son nez.
Et puis arrivent Gabriel et son charme, ce bad boy que Marthe aime comme son fils, celui qu’elle a sauvé pour lui offrir cette vie de luxe et d’opulence.
Naît un trio dangereux, inattendu, pervers, déstabilisant.
Je suis obligée de m’arrêter là pour ne pas dévoiler la tournure singulière que prend le récit sous la plume talentueuse de l’auteur à la limite de l’indécence, du voyeurisme.
Agnès Martin-Lugand ose s’aventurer sur un terrain bien mystérieux, joue avec des sentiments pernicieux, des émotions troublantes, installe une atmosphère qui devient rapidement malsaine et subtilement immorale. Elle frôle les limites pour créer chez le lecteur un sentiment de malaise. Car c’est bien de manipulation psychologique dont il s’agit ici, d’emprise machiavélique et de corruption sentimentale.
J’ai tourné chaque page avec l’envie de connaître la suite, de savoir comment Iris se sortirait de cette étrange situation, de quelle manière sa vie, son couple, ses rêves s’en trouveraient changés.
Une histoire banale (comme souvent chez l’auteur), un roman facile à lire, certes, mais séduisant, intéressant, surprenant.
Je le redis : cet opus ne mérite pas les critiques acerbes dont on l’a habillé !